vendredi 29 septembre 2017, par Yann Clénet
Contexte astrophysique et instrumental
La compréhension de l’évolution des galaxies est un enjeu majeur de la recherche actuelle dans le domaine extragalactique. Or l’environnement proche du noyau des galaxies et les processus physiques qui s’y déroulent semblent jouer un rôle important dans cette évolution des galaxies : formation d’étoiles, interaction du milieu interstellaire avec un trou noir central, activité du trou noir central, ...
Etudier tous ces processus, au sein des régions les plus centrales des galaxies, demande une capacité d’observer des détails très fins. Seuls les télescopes géants au sol équipés d’optique adaptative ou les interféromètres formés avec ces mêmes télescopes géants au sol permettent de vaincre la turbulence atmosphérique et d’atteindre le pouvoir de résolution nécessaire.
Fort de sa position de leader international dans ces techniques de haute résolution angulaire, le LESIA s’implique depuis maintenant de nombreuses années dans plusieurs études sur l’activité des coeurs de galaxies.
Image de NGC 1068 observé par NACO en bande M’ (4,8 µm) (Gratadour et al. 2006)
Les noyaux actifs de galaxies
Contreparties locales des quasars, les noyaux actifs de galaxies (NAG) se distinguent par leur forte luminosité centrale, pouvant dépasser la luminosité totale d’une galaxie classique à l’intérieure d’une région très petite (jusqu’à 1 pc3). Cette luminosité des NAG s’expliquerait par l’existence en leur cœur d’un trou noir de 106 à 109 masses solaires, ceint d’un disque d’accrétion l’alimentant en matière. C’est ce phénomène d’accrétion, particulièrement efficace pour transformer l’énergie gravitationnelle en énergie lumineuse, qui serait à l’origine du rayonnement émis par les NAG.
Notre équipe travaille depuis plusieurs années à lʼanalyse de NGC 1068, lʼarchétype des NAG de type Seyfert 2, au moyen de l’instruments d’imagerie infrarouge avec optique adaptative, parfois couplée avec un coronographe. Originellement prévue pour la recherche d’exoplanètes, la coronographie peut se révéler particulièrement intéressante pour l’étude des NAG : le flux du noyau lui-même domine complètement dans les régions centrales, occultant l’émission potentielle de structures sous-jacentes. "Eteindre" le noyau peut permettre de révéler ces dernières.
L’emploi à 2,2 µm d’un coronographe conçu au LESIA et installé sur NACO a confirmé la réalité de structures en forme de vagues fines et régulières encadrant le jet radio de la galaxie (Gratadour et al., 2006) et permis de mesurer la température, élevée, de ces structures. Nous avons par ailleurs pu expliquer l’observation en leur sein de raies coronales, témoignant d’un fort champ ionisant, par l’excitation du milieu interstellaire entourant le noyau actif par le jet lui-même (Exposito et al., 2011).
Plus récemment, nous avons initié un programme d’observations de NGC 1068 avec SPHERE au VLT, exploitant les capacités polarimétrique et coronographique de l’instrument. Ces observations SPHERE du cœur de NGC 1068 montrent clairement une structure nucléaire compacte (20 pc × 60 pc) orientée avec un angle polaire de 118 ̊, i.e. perpendiculairement à l’axe d’un bi-cône en forme de sablier traçant les cônes d’ionisation nord et sud du noyau actif. Ce serait la première observation directe du tore de poussières au cœur de NGC 1068 (Gratadour et al., 2015).
Le centre de notre galaxie
L’activité du trou noir au centre de la Galaxie et l’étude de son environnement proche a constitué une activité importante de recherche au LESIA ces dernières années, en relation directe avec les développements instrumentaux en haute résolution angulaire réalisés au laboratoire.
Les premiers systèmes d’optique adaptative, tel ADONIS au 3.6m de la Silla/ESO, avaient déjà permis d’obtenir de premiers résultats, avec la première cartographie du Centre Galactique en optique adaptative à 3.6 µm (bande L) et une mesure non biaisée de l’extinction interstellaire vers cette région (Clénet et al. 2001). Le système d’optique adaptative NAOS et plus particulièrement son analyseur infrarouge, conçu au LESIA, a ensuite permis à une équipe internationale comprenant des chercheurs allemands du Max-Planck-Institut für extraterrestrische Physik de Garching (MPE) et des chercheurs du LESIA de réaliser une étude astrométrique des étoiles gravitant au cœur de la Galaxie avec une résolution spatiale jusqu’ici inégalée, démontrant de façon quasi certaine l’existence d’un trou noir au centre de la Galaxie (Schoedel et al. 2002). Toujours grâce à NAOS, cette même équipe a par ailleurs observé pour la première fois la contrepartie infrarouge de la source radio associée au trou noir dans plusieurs bandes infrarouges : H, K, L’ et M’ (Genzel et al. 2003, Clénet et al. 2004).
L’origine des sursauts de luminosité de cette contrepartie infrarouge reste encore à préciser : ils pourraient s’expliquer par de la matière sur la dernière orbite stable du trou noir se précipitant sur le trou noir (Gillessen et al. 2006) ou par un jet accélérant les électrons à l’origine du rayonnement non thermique observé (cf. par exemple Clénet et al. 2006).
Une autre question majeure posée par ces observations infrarouges à haute résolution spatiale est l’origine des étoiles jeunes observées très proches du trou noir (moins de 0.4pc) : naissance in-situ ou dans un amas proche migrant vers le centre de la Galaxie ?
Image à 8.6 microns de la région du Centre Galactique obtenue avec VISIR lors du Large Program ESO (Haubois et al. 2008)
Pour résoudre toutes ces questions nous avons reconduit la collaboration fructueuse lancée avec NAOS avec des chercheurs du MPE au sein d’un Large Program d’observations multi-longueurs d’onde (X, IR proche, IR moyen, submm). Ces observations nous ont permis par exemple
d’obtenir les images moyen infrarouges les plus profondes jamais obtenues, sans toutefois pouvoir détecter de sursauts dans cette gamme de longueurs d’onde (Haubois et al. 2008, Thibon et al. 2010)
de parvenir à une caractérisation fine (âge, métallicité, perte de masse par vent stellaire, …) d’étoiles proches du trou noir et d’un amas proche du Centre Galactique (Martins et al. 2007, 2008) permettant de tester les différentes hypothèses de l’origine des étoiles jeunes du Centre Galactique
de fournir de nouvelles contraintes sur la répartition spatiale des étoiles de l’amas central (Bartko et al. 2009), montrant qu’elles se positionnent sur un disque gauchi, et sur la fonction de masse des ces étoiles (Bartko et al. 2010), ces résultats favorisant plutôt une formation stellaire in-situ
d’expliquer les sursauts observés dans les rayons X, en infrarouge et dans le sub-milllimétrique par le rayonnement synchrotron de la population d’électron du disque d’accrétion (Dodds-Eden et al. 2009, Trap et al. 2011).
En relation avec la question sur la formation d’étoiles au Centre Galactique, notre équipe a récemment entrepris une étude sur le gaz moléculaire dans les parsecs centraux de la Galaxie (Ciurlo et al. 2016). Grâce à des techniques de traitement d’images héritées de la haute résolution angulaire et appliquées à des données de spectro-imagerie obtenues avec SPIFFI au VLT (déconvolution 3D par méthode de régularisation), nous avons montré que le gaz moléculaire H2 est présent dans tout le parsec central. L’analyse simultanée de l’émission dans les différentes raies d’émission ortho et para de H2 a permis d’obtenir des diagrammes d’excitation du gaz en plusieurs zones du parsec central, mettant en évidence deux régions distinctes : le disque circum-nucléaire, où le gaz est thermalisé avec de très fortes températures d’excitation (>1700 K), et la cavité centrale, où le gaz n’est pas thermalisé, avec des températures d’excitation différentes suivant les isomères (Tpara<1600 K et Tortho>2500 K), du fait de la destruction plus rapide des molécules de H2 par le fort champ UV des étoiles jeunes présentes.
Enfin, nous entamons l’exploitation scientifique de l’instrument Gravity du VLTI, qui a connu sa première lumière en 2016, d’abord avec les télescopes auxiliaires du VLT puis avec ses quatre télescopes principaux. Gravity a pour objectif de répondre à de nombreuses questions concernant le trou noir au Centre Galactique :
Les premières observations du Centre Galactique avec Gravity, utilisant les quatre télescopes principaux du VLT ont eu lieu en septembre 2016 (Eisenhauer et al. 2016). Elles ont déjà apporté les résultats suivants :
Les observations Gravity du Centre Galactique ont repris depuis le printemps 2017 et les performances de l’instrument laissent espérer une moisson de résultats à venir.
Personnels impliqués (octobre 2017)
Nom | Fonction | Thème de recherche |
---|---|---|
Clénet Yann | Chargé de recherche | Centre galactique, NAG |
Gratadour Damien | Maître de conférence | NAG |
Grosset Lucas | ATER | NAG |
Paumard Thibaut | Chargé de recherche | Centre galactique |
Perrin Guy | Astronome | Centre Galactique, NAG |
Rodríguez Coira de la Peña Gustavo | Doctorant (2017-2020) | Centre Galactique |
Rouan Daniel | Directeur de recherche | Centre galactique, NAG |
Straub Odèle | Post-doctorant | Centre Galactique |
Tung Nguyen Lam | Doctorant (2017-2020) | NAG |
Vermot Pierre | Doctorant (2017-2020) | NAG |
Vincent Frédéric | Chargé de recherche | Centre galactique |